Stéphane Cabrol est chef du pôle de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de Savoie. Il officie en outre dans le dispositif autisme en Savoie au sein de plusieurs structures : le Centre d'évaluation et de diagnostic qui dépend du Centre ressources autisme (CRA), des classes d'inclusion scolaire (Clis-Ted), un Sessad-autisme et un Institut médico-éducatif (IME).
Vous intervenez depuis une dizaine d'années dans le champ de l'autisme. Vous exercez au sein du Centre d'évaluation et de diagnostic en Savoie. Pourquoi un diagnostic précoce est-il primordial pour l'avenir d'un enfant ?
Pour une raison évidente. Entre 0 et 7 ans, la maturation cérébrale se fait à une telle vitesse et la plasticité cérébrale est telle qu'une intervention adaptée permet la réversibilité d'un certain nombre de difficultés majeures de développement. On peut intervenir avec pertinence à tous les âges de la vie mais l’efficacité optimale se situe dans le plus jeune âge. On peut beaucoup gagner en particulier sur le développement intellectuel. C'est d'autant plus important que ce développement intellectuel est un facteur pronostic essentiel dans l'autisme. Selon son quotient intellectuel (QI), l'avenir de l'enfant, son degré d’autonomie ne seront pas les mêmes. Or, si on a la possibilité d'établir un diagnostic précoce et de mettre en place rapidement une stratégie d'accompagnement adaptée, on a démontré que l'on pouvait améliorer les troubles envahissants du développement (TED) et donc les capacités de communication, les interactions sociales et les centres d'intérêts restreints ; il permet également d’améliorer significativement le QI de l'enfant. Même si pour une part encore importante, l’existence d’un retard mental restera malgré tout une réalité. Les interventions précoces permettent au potentiel de s'exprimer mais certains enfants, encore nombreux, présentent un retard mental constitutionnel, souvent d'origine génétique, qui persistera malgré l'amélioration liée aux interventions. Par contre, grâce aux interventions précoces, l’enfant, quel qu’il soit, ne va pas perdre son potentiel et va pouvoir l'exprimer. Aujourd'hui, force est de constater que nous avons des délais d'attente trop longs. Dans notre centre, il se peut que des enfants attendent un an ou plus pour avoir un bilan. Nous avons donc des priorités pour les enfants les plus jeunes, de 2 à 5 ans.
A quel âge peut-on établir un diagnostic de l'autisme ?
Avant le diagnostic, le dépistage doit permettre un repérage des troubles. Idéalement, le premier niveau de dépistage devrait avoir lieu entre 9 et 24 mois. Avant l'âge de deux ans, il n'existe pas d'outils permettant d'établir un diagnostic solide. Par contre, il existe des profils de développement qui permettent de repérer des enfants à risques de "trouble du spectre autistique" (TSA). Il existe des questionnaires comme le Chat (check-list for autism in toddlers) - ou le M-Chat (modified check-list for autism in toddlers) - qui sont de bons outils de détection précoce de l'autisme à partir de 18 mois. Ils sont cités parmi les outils de dépistage dans le document commun de la Fédération française de psychiatrie et de la Haute autorité de santé, portant sur les recommandations pour la pratique professionnelle du diagnostic de l'autisme. Ce ne sont pas les seuls. La démarche diagnostique survient dans un second temps pour consolider le repérage des symptômes autistiques. Selon les signes cliniques, le diagnostic peut s'établir dès l'âge de deux ans, mais plus solidement à partir de trois ans.
Qui sont les acteurs du dépistage ?
Le dépistage est du ressort des professionnels de santé de première ligne : médecins généralistes, pédiatres, médecins et psychologues scolaires, puéricultrices, médecins de PMI… Le dépistage étant réalisé, les enfants ayant une suspicion de TSA seront adressés aux professionnels chargés du diagnostic pour confirmer si les signes repérés sont bien en relation avec un TED. Je vous décris un parcours idéal, mais en pratique il faut y mettre un bémol. Même si les professionnels ont pris conscience, ces dernières années, de l'importance du repérage des TED, les outils mis à leur connaissance ne sont pas assez largement diffusés. A titre d'exemple, les versions françaises du Chat ou le M-Chat ont été réalisées par les associations, car la validation du questionnaire par les autorités de santé n'est pas encore achevée. L'objectif serait de le rendre systématique.
Comment se déroule le diagnostic ?
Dans nos centres, les bilans d'évaluation et de diagnostic pluridisciplinaires durent deux jours pendant lesquels nous effectuons une analyse objective portant sur plusieurs axes du développement : langage, psychomotricité, cognition, développement intellectuel, comportements. Nous allons observer l'enfant en le filmant, pour chercher la présence ou non de troubles dans le champ de la communication, des interactions sociales et des intérêts restreints. Pour le langage, nous veillons à identifier si celui-ci se fait dans un but de communication. Nous prêtons attention aux interactions réciproques avec les autres personnes. On s'attarde sur les expressions faciales, les anomalies dans le regard, le sourire. Nous pointons les difficultés à être en fonctionnement de partage, comme le fait de partager son plaisir, ses intérêts, de donner du réconfort, etc. Les enfants avec autisme ont souvent tendance à s'intéresser à des choses spécifiques de façon très marquée. Nous prêtons donc attention à la difficulté qu'ils auraient à diversifier leurs intérêts. Pour permettre d'établir un diagnostic complet, nous croisons aussi avec d'autres bilans : un bilan orthophonique pour voir si l'enfant connaît des troubles du développement du langage ; un bilan psychomoteur pour les enfants de 2 à 6 ans afin d'évaluer sa coordination motrice, sa manière de se déplacer, de se repérer dans l'espace ; un bilan ergothérapeutique, destiné aux enfants en âge scolaire, permet de mesurer la coordination fine des gestes permettant l'autonomie de la vie quotidienne comme l'habillage, le lavage, ou l'adaptation aux impératifs de la vie scolaire, comme l'utilisation des compas, des règles, etc. Il faut ajouter à cela un bilan sensoriel, pour déceler un éventuel trouble de l'un ou plusieurs des cinq sens, un bilan neuro-pédiatrique ayant pour but de déceler la présence de troubles associés, comme par exemple l'épilepsie. Enfin, un bilan génétique pour vérifier l'existence ou non d'une mutation génétique ou d'une modification génétique héritée. Une fois l'évaluation de l'enfant faite dans les différents axes de développement, une synthèse est effectuée avec les professionnels qui le suivaient déjà et ceux du Centre de diagnostic. Une fois le diagnostic établi, le médecin reçoit la famille pour l'annonce diagnostique.
L'annonce du diagnostic à la famille doit être un moment très délicat ?
Nous prenons en effet beaucoup de précautions pour bien recevoir la famille car le moment du diagnostic est très sensible. On prend le temps de regarder la vidéo, de voir ensemble quelles sont les caractéristiques de fonctionnement de l'enfant, les raisons ayant permis d'aboutir à la conclusion diagnostique. Ce sont des consultations longues qui peuvent durer deux heures, deux heures et demie. C'est un moment où la famille est très vulnérable car le diagnostic vient poser une réalité sur l'enfant. Mais il faut aussi voir cela comme un moment constructif, car nous allons élaborer avec la famille une stratégie globale d'accompagnement concernant les soins, l'éducation et la scolarité. La famille est le premier maître d'œuvre de la stratégie d’accompagnement. Nous les informons sur les possibilités existant dans le département. Une discussion s'engage sur l'intérêt d'une approche ou d'une autre. C'est vrai que nous sommes très favorables aux approches éducatives, développementales et comportementales dans le cadre de notre centre ressources, en lien avec notre expérience clinique et en conformité avec les recommandations de l’HAS, mais nous collaborons avec l'ensemble des partenaires, car l'approche doit être globale et donc plurielle. Nous insistons beaucoup sur le volet de l'accompagnement scolaire, parce qu'on sait aujourd'hui qu'un enfant avec autisme doit être situé au maximum dans une vie la plus ordinaire possible. Etre dans sa famille, aller à l'école tous les jours… après l'annonce diagnostique, nous accompagnons encore un peu la famille pour mettre en œuvre la stratégie d'accompagnement. Nous la guidons dans ses premiers pas, ensuite les structures prennent le relais.
Stéphane Cabrol
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